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UB- Préhistoire Le site de Préhistoire de l'Université de Bourgogne Cours en ligne Licence 3 - Chronoécologie et évolution culturelle 15000-5000 BC |
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Chronoécologie Néolithisations Cours 1 : Colons et indigènes - La Grèce
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Pour cette seconde partie du semestre, je vais vous parler spécifiquement de la néolithisation, du phénomène de néolithisation à travers deux aspects : Tout d’abord, la question des populations indigènes, des contacts avec les colons et de l’acculturation de ces populations ou de leur part dans la néolithisation elle-même. Ensuite, nous reviendrons sur le concept même de néolithisation, d’un point de vue théorique pour en envisager les causes et les modalités. Nous allons commencer aujourd’hui par voir la colonisation de la Grèce et l’apparition du premier Néolithique européen et nous nous appuierons sur des travaux de chercheurs pour chaque séance, pour vous donner une idée des pratiques de la recherche, des débats actuels et des éventuels problèmes et j’essayerai de garder un peu de temps à la fin pour en discuter avec vous. La situation que nous allons observer en Grèce suppose peu de contacts et d’interactions entre les colons néolithiques et les populations locales, alors que nous verrons ensuite, sur la côte atlantique des comportements totalement différents et au final l’importance des communautés mésolithiques dans la constitution du Néolithique occidental. Pour la Grèce, je me fonde sur les travaux de Catherine Perlès, abondamment diffusés et vous observerez quelques différences de phasage et de chronologie avec les grandes étapes de la néolithisation de l’Europe que je vous ai tiré des travaux de Caroline Mazurié. Catherine Perlès rappelle d’abord que l’origine du phénomène de la colonisation néolithique correspond en datation à l’effondrement à partir de la fin du 8e millénaire du système proche-oriental qui s’est mis en place au PPNB. Une crise dont on ne connaît pas la nature avec une recomposition du paysage culturel à l’échelle du croissant fertile que je vous ai mentionné au début du Néolithique céramique. Les premières implantations néolithiques en Grèce et en Crête sont concomitantes à partir de 7000 avant notre ère et pendant une période datée de 7000 à 6500. Dans ce Néolithique initial qui provient du Levant et peut-être d’Anatolie méridionale (ce qui semble faire l’objet d’un consensus), les techniques et l’économie sont déjà pleinement néolithiques reposant sur l’exploitation d’espèces domestiques (végétales et animales) originaires du Proche Orient. Dans cette première phase seule la question de la céramique est encore posée, car elle pourrait bien être absente des sites les plus anciens en Grèce comme en Crête à la base du tell de Knossos où l’idée avait déjà été évoquée, puis rejetée, avant de refaire surface aujourd’hui : il pourrait s’agir d’un premier mouvement issu du Néolithique pré-céramique du Proche Orient, comme c’était le cas pour Chypre, mais donc un peu plus tard en Chronologie. La céramique sera cependant bien représentée, en Grèce, avec une production sur place bien caractérisée dès 6500 avec le Néolithique ancien au sens strict. Ce qu’on appelle donc la céramique monochrome. En mettant de côté, les questions de modifications des lignes de rivages, problèmes récurrents quand on étudie le Néolithique ancien – il sera équivalent pour les côtes atlantiques – l’implantation même de ce Néolithique en Grèce va traduire deux choses : Tout d’abord, la rupture nette qui existe dans cette région entre le Mésolithique et le Néolithique. Ensuite, la continuité qui existe tout autant entre ces implantations néolithiques en Grèce et la tradition proche orientale originelle. Pour le Mésolithique et le Néolithique, les sites connus en Grèce sont nombreux et permettent plusieurs observations : La première est que si les sites mésolithiques se répartissent sur l’ensemble de la Grèce, les premiers sites néolithiques vont se concentrer dans les régions orientales et il ne s’agit pas d’un instantané, correspondant aux limites de la diffusion, puisque quelques sites des mêmes périodes, sont effectivement présents en Grèce occidentale, mais peu nombreux. L’interprétation en est un choix qui correspondrait à la recherche de milieux assez secs - auxquels les espèces animales et végétales provenant du Proche Orient seraient mieux adaptées. La seconde correspond à une opposition des milieux exploités par les groupes : les communautés agro-pastorales vont s’implanter dans les plaines et les grands bassins fertiles, alors inhabités, tandis que les chasseurs collecteurs du mésolithiques préféraient les implantations strictement côtières ou les milieux diversifiés des zones montagneuses de l’intérieur. La troisième observation concerne la densité d’occupations. Seule une dizaine de sites est connue pour le Mésolithique sur l’ensemble de ce vaste territoire. Et, à l’opposé, les sites néolithiques actuellement connus sont au nombre de 350. Une dernière opposition importante concerne l’habitat, puisque sauf exception, l’habitat néolithique sera un habitat de plein air, comme si l’habitat devait à partir de ce moment « pour des raisons symboliques » être construit de main d’homme nous dit CP. Les grottes et abris utilisés par les mésolithiques seront dès l’or délaissés. La Grotte de Franchthi, dont je vous ai parlé la semaine dernière constitue une exception probablement destinée à une utilisation particulière, alors que les recherches les plus récentes montreraient l’existence d’un village construit en avant de la grotte et actuellement submergé. Alors, que nous révèle l’observation de ces sites ? Tout d’abord, ils vont s’inscrire dans la très longue durée, puisque la plupart des sites fondés au Néolithique ancien seront occupés de façon continue ou répétée jusqu’au Néolithique moyen, récent voire final, soit pendant des siècles et des milliers d’années. Il s’agit là d’une tradition héritée du Proche Orient, où l’habitat est une espace fixe, délimité et inscrit dans le temps. En même temps la permanence de nombreux villages va entraîner la formation de « tells », comme au Proche Orient là encore (Tell au Proche Orient et en Bulgarie, Tepe en Anatolie, Magoule ou magoula en Thessalie dans le nord de la Grèce). Selon les archéologues, les tells marquent par leur seule présence, l’appropriation du territoire par une communauté déterminée et la filiation ancestrale. Ces villages s’étendent sur des surface peu à moyennement importante (de 0,5 à 4 hectares) et on évalue leur population à 200 à 300 personnes au maximum et on nous explique au passage que sur le plan sociologique il s’agirait de communautés où l’interaction entre les individus est directe et où les organisations hiérarchisées ne sont pas nécessaires. L’architecture et les matériaux employés pour l’habitat traduisent deux choses : d’une part, ils illustrent la tradition proche orientale dont ils sont issus :
avec des constructions en terre (adobe, briques, torchis) et des plans rectangulaires parfois partitionnés par des murs dans la largeur « tier-houses » classiques dans le Levant. Il en va de même des aménagements intégrés directement avec des banquettes, foyers…) d’autre part on observe une absence de normes strictes puisque dans le détail, les constructions vont pouvoir être assez différentes dans un même village ou d’un niveau au suivant.
L’habitat n’est donc pas ici un marqueur identitaire au contraire du village lui-même qui est pérennisé sous la forme d’un tell. Et au contraire de ce qui se passe dans le monde de la céramique linéaire ou rubanée par la suite avec ces maisons aux normes très strictes. En même temps, il demeure un certain marqueur des traditions antérieures d’origine proche orientale. En dehors des maisons, elles-mêmes, de très nombreux sites sont marqués par la présence d’une enceinte (fossé ou mur) mais qui ont le plus souvent été détruites et dépassées par des agrandissements du village. Cependant les marges mêmes de ces implantations, rarement fouillées, demeurent méconnues. On nous dit que ces enceintes seraient plus symboliques qu’utilitaires, mais parallèlement on ne sait pas si elles n’ont pas été reconstruites en périphérie des nouveaux secteurs d’habitation. La distribution de l’implantation des sites est révélatrice d’autres faits concernant le système de progression de la néolithisation et sur le fonctionnement social de ces groupes de colons. La démonstration qui nous est proposée par CP demeure théorique mais très intéressante en terme d’analyse. Elle concerne la Thessalie, donc la Grèce septentrionale et précisément la Thessalie orientale où plus d’une centaine de sites du Néolithique initial et ancien peuvent être pris en compte. Tout d’abord, je vous rappelle que ces terres sont presque vides de population, lorsque les colons néolithiques s’y implantent. Il n’y a donc pas de contraintes humaines à cette installation. Une implantation systématique dans des lieux donnant accès à des micro-environnements diversifiés : donc l’accès à de multiples terroirs complémentaires pouvant être exploités. Ou différemment une implantation privilégiée le long des cours d’eau qui serait liée à une agriculture de crue saisonnière. Au passage vous pouvez voir qu’on peut faire dire tout et son contraire à une même carte et que les nouveaux outils comme les SIG n’y changent rien. C’est bien la réflexion qui est importante et non seulement la représentation. Selon CP, des tests statistiques montreraient que la distribution des sites n’est ni aléatoire, ni caractérisée par des regroupements ou concentrations notables, mis à part certains vides au contraire correspondant à des zones régulièrement inondées ou à l’inverse très sèches. Cette distribution très régulière serait donc indépendante des variations locales de nature des sols, de topographie, d’hydrographie… A tel point que certains sites sont de fait implantés dans des zones très sèches nécessitant l’usage de puits et de citernes alors que d’autres terroirs auraient été plus avantageux de ce point de vue. Le deuxième élément important est l’extrême proximité de ces sites. La distance moyenne entre les plus proches voisins est de 2,3 Km ce qui correspond à des terroirs d’exploitation d’environ 450 hectares. L’interprétation est recherchée dans un modèle de colonisation à partir d’une série d’implantations aléatoirement distribuées suivie d’une scission régulière des villages quand la démographie augmente. Cela rejoint ce que je vous disais la fois dernière concernant d’une part le contrôle moins strict de l’augmentation du groupe chez les groupes de nature agro-pastorale et les modalités d’expansion de ces groupes vers l’extérieur. Alors, les causes de ces scissions sont liées à l’augmentation démographique du groupe : d’une part : la volonté de maintenir la population en dessous du seuil où une organisation hiérarchisée devient nécessaire (seuil qui est établi en ethnologie à 200/300 personnes).
D’autre part un désir de palier l’éloignement progressif des terres agricoles en fonction de leur croissance nécessaire avec l’augmentation du groupe. Et là, la distance de 2,3 Km correspondant à 1 heure de marche aller-retour semble aussi constituer un seuil qui serait classique. Vous pouvez observer que les chiffes s’emboîtent presque top bien dans cette analyse puisque nous avons des villages de 200 à 300 personnes ce qui correspond à une société non hiérarchisée et qui a besoin d’un terroir d’environ 450 hectares pour sa survie, correspondant lui-même à 2,3 Km de distance autour du site. La distribution des sites en Thessalie répondrait donc, selon ce modèle, à des facteurs socio-économiques et non pas environnementaux. Une telle densité de sites a-t-elle été source de conflits ? La question est posée mais comme d’habitude, on n’y répond pas vraiment en évoquant leur probabilité et la nécessité de « mettre en œuvre des mécanismes d’intégrations puissants pour les limiter ». En clair cela permettrait d’expliquer selon CP les très nombreux et denses vestiges que l’on peut rapporter à la différenciation des statuts individuels (ornements, biens de prestiges) – cela après nous avoir expliqué l’absence de hiérarchisation, et des vestiges à connotation rituelle comme les figurines très nombreuses par exemple qui font référence à « d’intenses activités cérémonielles et rituelles destinées à affermir les liens entre ces communautés ». Ça me laisse un peu perplexe, je ne vous le cache pas – surtout considérant à la fois les idées sur l’enracinement des groupes sur leur territoire affirmé par les tells, et l’édification d’enceintes qui ne seraient peut-être pas utilitaires. Qu’en est-il maintenant de l’économie de nos fameux colons néolithiques ? Et bien là encore, les données sont assez édifiantes. Concernant l’économie vivrière, on observe de façon très nette l’importance de l’économie de production façonnée et contrôlée par l’homme et à l’opposé une sorte de refus du sauvage. On a pas mal glosé, pendant un temps, sur l’absence de structures de stockage agricole connues, qui sous-tendait l’importance de l’exploitation des végétaux sauvages dans le Néolithique ancien grec. Les restes montrent la prédominance absolue des plantes cultivées, la cueillette ne pouvant être attestée que pour quelques fruits dans un premier temps. Il en va de même pour les données de l’économie animale, ou la chasse ne représente que 2 à 7 % des ressources en moyenne dans le Néolithique ancien. L’ensemble de ces plantes et animaux domestiques provient du Proche Orient, et Tout ce qui a été domestiqué est présent. Pas d’oubli et pas de création, mais la reproduction à l’identique du système économique proche oriental. Dans le domaine des industries, les observations montrent une autre facette de ce monde néolithique avec l’existence d’artisanats spécialisés. C'est-à-dire la mise en œuvre de techniques très particulières par un petit groupe d’individus et à destination d’une population plus large que la maisonnée ou la localité. De même les outillages sont de tradition néolithique et mettent en jeu des techniques très particulières et novatrices comme la pression au levier… qui n’empruntent pas aux traditions indigènes pour exploiter des matériaux locaux. La céramique est à l’inverse une production strictement locale avec des matériaux locaux mais même si elle semble d’une grande simplicité elle montre en réalité un haut niveau de savoir-faire et un usage probablement pas encore très large. Si on ajoute à cela des biens dits de prestiges fabriqués en matériaux rares, essentiellement des parures, petits vases en marbre… Il existe dans le Néolithique ancien grec au moins trois systèmes de circulation ou d’échange : l’industrie lithique avec des déplacements à longue distance d’objets du quotidien mais produits par des spécialistes en grands nombres, la céramique avec des échanges très limités et sur de courtes distances et les « biens de prestiges » avec des échanges limités là encore mais sur de grandes distances. Ces premiers colons, selon CP, ressentaient en permanence la nécessité de réaffirmer la primauté de ce qui est manufacturé de main d’homme sur ce qui est naturel, et parallèlement, la primauté des interactions sociales sur l’autarcie. En conclusion de ce petit panorama de la néolithisation en Grèce : deux choses : Tout d’abord une réflexion développée par CP à partir des idées de M. Özdogan : Le Néolithique ancien grec se trouve pour l’essentiel dans une continuité très forte d’un mode de vie et de pensée plus ancien déjà présents au Proche Orient mais en même temps il témoigne à l’évidence d’une dérive et même d’une dynamique novatrice sur le plan sociologique et idéologique. Ça veut dire quoi : Les villages du Néolithique ancien grec sont de taille réduite comme on l’a vu, sans commune mesure avec les grandes bourgades du PPNB. Rien n’indique en outre que ces villages aient été organisés autour de grands sanctuaires comme c’est le cas au Levant et en Anatolie dès la fin du PPNA. Nous aurions donc des colons néolithiques en Grèce qui ont tout apporté du Proche Orient, presque tout en réalité, en créant une forme de société nouvelle en Europe, peut-être précisément en rupture volontaire avec les sociétés du PPNB qui ont je vous le rappelle connu une grave crise peu de temps plus tôt. En Grèce, les données funéraires et architecturales tendent à montrer une société différenciée mais égalitaire très différente des systèmes à autorité centrale qui se dessinent de plus en plus pour le Proche Orient. Il s’agit bien évidemment d’interprétations mais elles éclairent en même temps d’un nouveau jour les possibles motivations des colons partant du Proche Orient en même temps qu’elles offrent une profondeur à ces prémices du Néolithique européen dans ses aspects socio-économiques. L’autre chose importante pour conclure concerne les fameux néolithiques locaux qui ont été si résolument écartés de cette démonstration. Car CP avoue à la fin de son article de synthèse que les mésolithiques n’ont pas disparu d’un coup totalement assimilés ou n’ont pas reculé face aux fronts pionniers des colonies néolithiques mais ont au contraire peut-être joué un rôle actif dans le développement de la société néolithique grecque même si elle est incapable de le mesurer pour le moment car il s’agit d’un domaine encore trop peu étudié. Quels sont les données et les indices : Tout d’abord concernant l’outillage lithique, nous allons voir nos colons néolithiques se mettre à fabriquer des armatures tranchantes selon les traditions indigènes strictement mésolithiques, alors que le Proche Orient connaît une tradition d’armatures perçantes. C’est déjà un peu gênant pour le tableau général du début. Plus grave encore est le rituel funéraire le plus répandu dans ce premier néolithique qui est curieusement l’incinération. Même si on ne connaît donc pas encore réellement bien ses composantes initiales, l’organisation générale de ce Néolithique grec va être particulièrement stable pendant plus d’un millénaire jusque dans le Néolithique moyen. Il va se marginaliser en même temps puisqu’il ne participera pas directement à la Néolithisation de l’Europe, puisque c’est à partir d’une seconde vague issue d’Anatolie, avec les céramiques peintes, que se mettront réellement en place les deux grands courants de néolithisation du continent, un peu plus au nord, dans les Balkans. Bibliographie : PERLES C. (2001) – The early Neolithic in Greece, Cambridge : Cambridge University Press, 2001, 356 p. (Cambridge Word Archaeology)
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